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Royale Bibliothèque

Le blog de la résidence de Dominique Sampiero à Chasse Royale avec la Bibliothèque de Valenciennes !

Royal Carnet - Jeudi 18 avril

Royal Carnet - Jeudi 18 avril

Carnet de Résidence.
Jeudi 18 avril
.

Saint-Parfait

Dictontaine :
À la Saint-Parfait
tout ce que j’ai fait se défait
tout ce que je n’ai pas fait
ne se laisse pas fa
ire.

Pensée du jour : Un homme averti en vaut deux. Il faut donc diviser par deux le chiffre de la population mondiale et se dire que la désinformation est une façon de résoudre tous les problèmes.

"Je lis les templiers si si tout sur les templiers j’ai tout lu tous tous les livres sur les templiers je les connais par cœur mais on a brûlé mes livres vous savez si si ils ont mis le feu à mon appartement comment ? j’ai pas compris parlez plus fort non je ne peux pas venir me faire filmer monsieur je suis trop fatigué je fais de la chimio trop fatigué désolé monsieur un autre jour j’ai ma chimio là. "

C’est ce que m’a répondu F. un grand gaillard au visage émacié à qui je venais de serrer la pince et que j’invitais à monter dans le bus nomade, histoire de se faire tirer le portrait avec les gens du quartier. Avec le recul, je réalise que c’était ma première maladresse à Chasse Royale. Ma première rencontre aussi. Ma première baffe quoi. Mais aussi ma première conviction : je me suis promis de prendre le temps de revoir F. pour l’écouter et lui demander de partager sa passion des templiers. Avec ou sans enregistrement, peu importe finalement, le convaincre qu’il a quelque chose de précieux à transmettre. Imaginer que les pauvres chevaliers du Christ et du temple de Salomon vivent depuis des décennies à Chasse Royale dans la tête de cet habitant malmené par la vie me donne envie d’aller plus loin.

Le lendemain, c’est L., une jeune femme voilée en pleine révolte et débordée de problèmes qui me propose un deal : " Trouvez-moi un appartement s’il-vous-plaît et je réponds à tes questions monsieur ". Comment rester insensible à une telle demande, à mi-chemin entre la provocation et la négociation ? Je ferai quoi à la place de L. ? La même chose ou pire ?

Un autre jour, M., un caïd aux yeux plein de lumière, me tend, les mains tremblantes, une lettre qu’il a écrite à l’intention du Maire de Valenciennes et du Président. Quand je découvre que c’est une demande d’emploi en bonne et due forme, je suis ému mais je dois lui préciser que je ne suis d’aucun recours dans ce domaine. Sans se désarmer, M. prolonge sa demande en me réclamant un aide pour des cours d’expression et d’élocution sur le terrain. Tope là. Nous imaginons la création d’un atelier au centre social sur le thème de la lecture à voix haute à condition de convaincre les autres partenaires et de trouver d’autres participants.

À ceux qui pensent que les artistes en résidence ne servent à rien dans ces quartiers démunis, qu’ils ne changeront rien à la situation ni aux difficultés de chacun, je ne sais que dire. Certains jours, je suis d’accord et je rame à contre courant. Je me demande ce que je fous là. J’ai la haine comme on dit ici. J’ai l’impression de représenter tout ce que ces hommes, ces femmes et ces jeunes ont rejeté en bloc : la culture. Je suis leur symptôme. À quoi bon la culture, si mon pays ne me donne pas de travail ni de conditions décentes pour vivre !

D’autres jours, ça bascule : je n’ai plus le temps de penser à ça parce que toutes les rencontres m’aspirent, m’engouffrent totalement dans quoi ? Je ne sais pas au juste. Un besoin d’être écouté ? D’être regardé vraiment ? De se poser en face d’un autre pour parler de tout et de rien ? Ou tout simplement parce que je vois surgir une richesse authentique, une culture orale, quelque chose à raconter qui ne trouve sa place nulle-part. Celui qui me parle me donne cette sensation magnifique d’être à ma place. Et d’entendre quelque chose de rare, d’unique qui aurait pu ne jamais trouver son espace, à part dans cette vie minuscule qu’on oubliera demain comme si on tirait un trait dessus.

Et puis je fouille dans ma mémoire. Je cherche dans mon enfance comment, depuis mon petit quartier ouvrier du Nord, dans une famille où aucun de mes frères ne pourra faire d’études et flirtera toute sa vie avec le chômage, comment moi-même j’ai tracé un sillon pas à pas, de désirs, de rencontres et d’obstination pour finalement sortir de ma classe sociale et réaliser mon rêve : écrire. Et en vivre. Moralement et matériellement. Autre mœurs, autre époque ?

Je continue de croire que la passion est contagieuse. La leur. La mienne. À Chasse Royale ou ailleurs. Et qu’il est toujours possible de trouver des forces pour l’impensable et l’impossible. N’est-ce pas Manu ?

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J
Merci de continuer à malmener la frontière entre de prétendus &quot;eux&quot; et d' improbables &quot;nous&quot;, et aussi pour le plaisir. Bises.<br /> Joëlle.
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S
Merci de prendre le temps de nous rejoindre, de nous regarder, de nous revoir.
V
Toujours aussi beau cette immersion dans l'humanité fragile. Que tu aides un peu avec les mots du poète.
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A
bon travail cher Dominique!
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L
Quelle bonne surprise ! Une immersion au cœur du Peuple, le baptême du Roi ! DJ Dom qui tape son Carnet. Royal ! C'est pas Manu, c'est Lulu qui te salue. Au bout du sillon, la contagion ! Yo !
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D
C'est pas le Saint-Louis du Sénégal mais presque ! Sauf qu'on nous offre des croissants au lieu de nous taxer tous les cent mètres pour acheter des masques. Ici les masques sont en chair humaine et racontent plein d'histoires ! Merci MC Lulu !
B
Dominique, comme à son habitude, nous nourrit de son empathie et de son regard porté sur les Hommes ! Son parcours de vie, ses rencontres, ses expériences humaines fleurissent au bénéfice de chacun en développant ce parfum de sensibilité qui lui est propre...La simplicité de l'écrit et la pudeur de ses questionnements confirment cette intelligence inter-personnelle qui est sienne ! Continue de poser les mots comme ils te viennent mon cher Dominique...
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E
Et tous les jours, répéter &quot;impossible&quot; pour devenir &quot;un possible&quot;. Continuer la route, merci pour ces mots.... Emma qui te salue des Hauts de Rouen.